Petite chronique d’un procès… le prix d’une fiction (1)

Pour être sincère, ce vendredi 15 octobre 2010, je n’en mène pas large en pénétrant dans le Palais de justice. Je suis tellement tendue que, croyant reconnaître un journaliste de ma connaissance, je fais la bise à un autre que je ne connais pas.

Perturbée donc.

Non que je me sente coupable de quoi que ce soit, tout au contraire, mais ce lieu, solennel et chargé par l’histoire et les histoires qui s’y sont déroulées ou avouées, impressionne fortement.

J’ai encore du mal à y croire que je me trouve au pénal, même en découvrant la salle d’audience, haute en plafond peint et aux dorures qui en ont vu d’autres. C’est ainsi que pour avoir commis une fiction, je dois témoigner à la barre dans un tribunal correctionnel

La 17e chambre, dite chambre de la presse, est un lieu sans nul doute plus serein que d’autres, même si le droit y est dit et rappelé comme dans toute autre chambre. Ici, pas de femmes torturées (sauf celles de mon roman), pas d’enfants battus ou découpés en morceaux, pas de viols ni de délirants psychopathes (sauf ceux de mon roman).

Ici, les magistrats, comme je le découvre au fil des heures – j’y entre à 13H30 et en ressort vers 18H15 – ont visiblement le goût de la littérature et de la culture. Il suffit pour cela d’entendre le Président du tribunal donner lecture d’un résumé de Aux Malheurs des dames.

Et, tandis qu’il évoque ce récit issu de mon imagination, j’en fais soudain une lecture légèrement différente, surtout lorsqu’il dira de la fin qu’elle est « luciférienne ». Je l’avais imaginé “baroque”.
Mais de sourire avec plaisir devant l’exercice de style, incapable que je suis de résumer mes propres textes.

En cet instant, j’ignore encore que les arguments de la partie civile, ceux de la blonde avocate choisie par les dirigeants du Marché Saint Pierre (MSP) qui, eux, n’ont pas estimé nécessaire de se présenter, invoqueront quelque enfer dont je n’avais aucune idée.

Absents nos poursuivants, eux qui pourtant nous ont assigné mon éditeur et moi-même, ainsi que madame et monsieur Magdelonette. Que je rencontre, enfin.

Gardez en mémoire que la partie adverse affirme – et tentera de démontrer

– qu’ils sont la réplique de deux de mes personnages: Violette, ma plantureuse caissière disparue, femme ordinaire et simple, mais si vaillante face à l’agresseur, et Léon Witz, mon parano amoureux, auquel je tiens tant (comme à ces marginaux dont je peuple mes romans) et qui n’existe, du moins au début lorsque je me mets à écrire fin 2008, que pour venir renforcer le personnage de Violette.

Puis qui finit, à travers le récit, par exister en son propre nom.

Je découvre alors que les époux Magdelonnette n’ont, du moins physiquement, rien à voir avec Violette et Léon. Et là de songer : ce qu’il faut d’imagination à la partie adverse pour avoir inscrit cela comme argument dans la citation à comparaître ?!

Madame Magdelonnette n’aurait certes pas eu à subir les foudres de mon psychopathe qui harcèle Violette, ma caissière fictive, qui lutte pour qu’elle maigrisse. Madame Magdelonnette est menue, sans doute plus petite que moi, mais je suis chaussée de tiags à talons.

Elle porte les cheveux longs, et je ne crois même pas avoir évoqués ceux de Violette. Monsieur Magdelonnette est sans doute originaire d’un pays que Léon Witz n’aurait pas imaginé découvrir rejoindre un jour, en raison d’une agoraphobie handicapante.

Il surtout d’un calme qui fait considérablement défaut à Léon. Je suis heureuse de contraste entre eux et mes personnages, car cela donne à chacun une forte légitimité, une existence pleine et entière. Dans la réalité comme dans la fiction

Ils sont dignes, les époux Magdelonnette, et ils forcent mon respect. A la question de mon éditeur, François Besse des Editions Parigramme : “pourquoi, après tous ces combats, demander encore votre réintégration au MSP ?, question qui me taraude également, elle répond : question de principe.

Avec une droiture et une dignité dans la voix qui me séduit. Le courage de certains !

Car, malgré cette énième citation à comparaître en tant que complices, de droit commun comme le soulignera la représentante du ministère public, madame le procureur, les époux Magdelonnette restent calmes, posés, bien droits sur l’inconfortable banc du tribunal.

Eux qui bataillent (suite à un licenciement jugé abusif par les tribunaux compétents) depuis des années pour obtenir leur réintégration au MSP lequel, en réponse, les traîne devant la justice ce vendredi 15 octobre. Ce qui me semble, en les découvrant, d’autant plus déplacé. Que font-ils ici ? Et nous ? François Besse, en sa qualité d’éditeur, et moi-même, en ma qualité de romancière, que faisons-nous ici ?

Les deux dirigeants du MSP qui ont pris ombrage de mon roman, et se sont servis en quelque sorte de mon roman pour ramener les époux Magdelonnette devant le juge, si j’en crois l’avocat du couple, et les nombreux commentaires qui viendront en écho à cette audience, sont donc absents. Ça passe mal.

C’est du moins l’impression que nous aurons tous, dès le début, mes amis écrivains venus en soutien, les fidèles parmi les fidèles, et les journalistes. Parmi eux, une journaliste américaine à qui je mâchouille péniblement quelques phrases en anglais, incapable de me concentrer durant la courte pause accordée par le tribunal.

Avant la pause, je serre donc pour la première fois la main des époux Magdelonnette, tout en songeant à leur situation. A la mienne. A celle de la liberté d’expression.

Tant de choses fusent et me passent par l’esprit que je dois m’astreindre, et cesser de penser à toutes ces choses qui me viennent, pour rester concentrée sur ce qui ce dit en cette 17e chambre.

Je ne peux ni prendre de notes ni enregistrer, moi qui attends depuis des mois d’entendre la partie adverse, moi qui veux tant comprendre comment il est possible, en 2010, de se retrouver dans une situation quasi ubuesque, quasi à caractère moyenâgeuse.

Je ne parle pas du traitement de la justice, mais bien de cette citation à comparaître. Et il me viendra à l’esprit, en entendant la plaidoirie de la partie civile, par association d’idées, des mots comme : sorcière, inquisition.

Je n’exagère pas. Les griefs soulevés par la partie civile, qui le seront dans le but de défendre une thèse, résonnent à mes oreilles comme issu d’un autre temps, d’une autre “fiction”.

Sidérée, je découvre que l’on croit que j’ai voulu la destruction du MSP et pour cela, j’ai écris un roman de presque 300 pages. De surcroît téléguidée, comme le suppose le MSP et ainsi que notifié dans la citation à comparaître, par les époux Magdelonnette.

Nous croyions publier une fiction mon éditeur et moi-même, nous voilà plongés en plein complot.

Ça n’a rien pourtant d’une fiction, nous sommes bien en 2010, un vendredi d’octobre, au tribunal correctionnel pour diffamation, injures, dégradation de la marque MSP et complicité.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.